Dans un geste aussi discret que controversé, les autorités ougandaises ont procédé, ce jeudi 10 juillet, à la réouverture officielle de la frontière de Bunagana, l’un des principaux postes frontaliers reliant la République démocratique du Congo (RDC) à l’Ouganda. Une décision prise en dehors de tout cadre formel avec Kinshasa, alors que la zone demeure sous le contrôle total du mouvement rebelle AFC/M23.
Fermée depuis juin 2022, à la suite de l’occupation de Bunagana par les rebelles du M23 – aujourd’hui rebaptisé Alliance Fleuve Congo/M23 – cette frontière était devenue un symbole fort du recul de l’État congolais dans la région. Depuis plus de deux ans, aucun service officiel de l’État congolais n’y opère, et pourtant, ce matin, les premiers camions et véhicules particuliers ont franchi la ligne, marquant un retour inattendu des échanges transfrontaliers.
Un geste lourd de symboles
Aucune autorité congolaise n’était présente. L’événement, visiblement orchestré par Kampala avec la bénédiction tacite de l’AFC/M23, s’est déroulé dans un calme tendu. Des hommes armés encadraient la logistique, tandis que des officiels ougandais supervisaient les premiers passages avec une organisation méticuleuse. Ni Kinshasa ni l’ONU n’ont, pour l’instant, réagi officiellement à ce développement.
Cette réouverture soulève de nombreuses interrogations sur le plan diplomatique et sécuritaire. En effet, en agissant unilatéralement, l’Ouganda semble reconnaître, de facto, une autorité parallèle sur cette portion de la frontière – une entité armée classée comme rebelle par le gouvernement congolais. Pour beaucoup, cela équivaut à un acte de provocation.
Des enjeux économiques… sous tension
Si cette décision est susceptible de relancer certains échanges commerciaux, notamment pour les populations locales durement frappées par les blocus, elle pose également un dilemme majeur : qui contrôle désormais les recettes douanières ? L’argent collecté profitera-t-il aux communautés ou renforcera-t-il la machine rebelle ? En l’absence de cadre légal, la situation échappe totalement au contrôle de Kinshasa.
Les opérateurs économiques, quant à eux, restent prudents. « Il y a un besoin réel de circulation, mais nous ne savons pas à qui nous avons affaire », confie un commerçant de Goma sous anonymat. « Nous avons peur d’être taxés deux fois, ou pire, d’être pris pour cible. »
Un précédent diplomatique inquiétant
La décision ougandaise pourrait créer un précédent dangereux dans la région. Elle intervient alors que les négociations entre Kinshasa et l’AFC/M23 piétinent à Doha, et que les tensions militaires persistent dans le Nord-Kivu. Cette réouverture unilatérale pourrait donc affaiblir davantage la position du gouvernement congolais dans les pourparlers, en donnant à l’AFC/M23 une légitimité territoriale implicite.
Un triangle stratégique sous haute tension
La frontière de Bunagana, aux côtés de la Grande Barrière de Goma et de Kasindi (Beni), forme un triangle vital pour le commerce régional. Sa gestion implique non seulement des enjeux économiques, mais aussi de souveraineté nationale. Dans ce contexte, chaque geste compte – et celui de l’Ouganda pourrait bien rebattre les cartes de la crise sécuritaire à l’est de la RDC.
Patrick Kalume