Une scène d’une violence inouïe a secoué cette semaine le territoire d’Isangi, dans la province de la Tshopo, au nord-est de la République démocratique du Congo. Deux femmes ont été décapitées à la machette et une troisième grièvement blessée, après avoir été accusées de sorcellerie par des habitants du village Yalolia 2.
Selon les informations recueillies par plusieurs sources locales, le drame s’est produit après qu’une femme, tombée gravement malade et soignée par des praticiens de la médecine traditionnelle, a désigné trois villageoises comme étant à l’origine mystique de son mal. Quelques instants avant de succomber, elle les aurait accusées nommément, déclenchant une vague de colère dans la communauté.
Un lynchage prémédité, encouragé par un parent de la victime
L’administrateur du territoire adjoint (ATA) d’Isangi, Toussaint Loholo, a confirmé que le père de la défunte, accompagné d’un groupe de jeunes en provenance du village voisin de Bosukulu, a organisé une expédition punitive contre les femmes accusées. Exigeant qu’elles fassent revenir la malade à la vie, ces jeunes, frustrés par l’absence de “miracle”, ont traîné les trois femmes jusqu’au pont Lobilo, situé sur l’axe routier principal.
Là, dans une mise en scène d’une brutalité barbare, deux des femmes ont été sauvagement exécutées à la machette sous les yeux d’une partie de la population. La troisième a survécu de justesse, grièvement blessée, après l’arrivée tardive de la police alertée par des témoins.
Un sous-effectif chronique des forces de l’ordre en milieu rural
L’administration territoriale déplore une nouvelle fois le sous-effectif alarmant des services de sécurité dans cette région enclavée. « La police est arrivée trop tard pour empêcher le drame. À Isangi, nous disposons de moins de dix éléments pour couvrir une zone immense », a indiqué un cadre local sous anonymat.
Les auteurs de ce double meurtre extrajudiciaire ont pris la fuite et restent activement recherchés, bien que les autorités reconnaissent qu’en l’absence de moyens logistiques suffisants – véhicules, carburant, radios de communication – les chances de les interpeller rapidement sont minces.
Des violences ancrées dans des croyances anciennes
Ce nouvel épisode tragique vient rappeler la persistance des accusations de sorcellerie comme déclencheur de violences communautaires en RDC. Selon les données de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), des dizaines de femmes – souvent âgées – sont victimes chaque année de lynchages, d’agressions ou d’exclusion sociale à travers le pays, en raison de soupçons de pratiques occultes.
L’ONG Femmes Solidaires, active dans la Tshopo, appelle les autorités à agir : « Il est urgent de lancer des campagnes de sensibilisation dans les milieux ruraux pour démystifier ces croyances dangereuses. Nous demandons aussi à l’État de renforcer la présence de l’autorité publique dans les territoires comme Isangi », a déclaré sa coordinatrice.
Une enquête ouverte mais freinée par l’isolement
Les services judiciaires ont ouvert une enquête, mais plusieurs observateurs doutent de son aboutissement sans un appui concret du gouvernement provincial et national. Pour les défenseurs des droits humains, cette affaire doit servir de signal d’alarme. « Tant que l’État restera absent de ces localités, les populations continueront de se faire justice elles-mêmes au mépris de la loi et des droits fondamentaux », avertit Me Didier Luwila, avocat à Kisangani.
En attendant, la population de Yalolia 2 reste sous le choc, alors que les familles des victimes réclament justice. La survivante, encore hospitalisée, est placée sous protection policière.
Suzanne Kalambay Mujinga